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Journal d'un Chou
4 mai 2005

Europe : la mystification du plan B

LE MONDE – 03/05/05
par François Hollande, Premier secrétaire du PS

La démocratie n'est pas un risque, c'est une chance. A moins d'un mois du scrutin, dont nul ne peut prévoir l'issue, je ne regrette ni d'avoir consulté les militants socialistes ni d'avoir souhaité un référendum. J'ai la conviction que l'Europe politique ne peut pas se construire sans l'adhésion réfléchie des citoyens. Je fais donc confiance au peuple français, à sa lucidité et à son intelligence collective.

Ce référendum est un moment de vérité. La gauche doit d'abord être sincère. Nous n'avons pas été européens avec Mitterrand pour ne plus l'être sous Chirac. Je reste fidèle à cette idée qu'il ne peut pas y avoir de gauche durable sans cohérence entre le dire et le faire. Il faut tirer toutes les leçons du passé : elles ne consistent pas à tout mettre sur le dos de l'Europe lorsqu'on est dans l'opposition, après avoir été à l'initiative de tous les traités existants lorsque nous étions au pouvoir.

Certes la tentation pouvait être forte d'utiliser ce scrutin à des fins de politique intérieure. Le résultat alors n'aurait pas fait de doute. J'ai refusé ce calcul dont l'Europe aurait fait seule les frais.

Nos concitoyens s'interrogent légitimement sur le contenu du traité. Mais ils veulent aussi connaître les conséquences de leur choix. Il est donc indispensable que chacun dise le chemin qui s'ouvre derrière la décision qu'il propose.

Notre oui n'est pas seulement celui des socialistes français. Il est celui d'une famille, celle du Parti socialiste européen, en lien avec la Confédération européenne des syndicats.

Cette solidarité dépasse le moment actuel. Elle confirme une convergence d'action entre socialistes européens. Elle n'efface pas les spécificités nationales. Mais elle a permis déjà de mener au Parlement européen des combats victorieux contre la présence de M. Buttiglione au sein de la Commission après ses propos homophobes ou contre le projet de directive Bolkestein.

Nous concevons le traité constitutionnel à la fois comme une avancée et un point de passage. Et c'est dans ce cadre que nous travaillons à des propositions qui s'inscrivent comme autant de différenciations entre la gauche et la droite à l'échelle européenne :

- Un gouvernement économique de la zone euro. L'assouplissement du pacte de stabilité, adopté en dépit des rodomontades de la BCE, prouve que rien n'est intangible. Demain, l'eurogroupe pourra participer à la définition de la politique macroéconomique, y compris en matière de taux de change.

- Une coordination budgétaire active. Un programme de grands travaux européens, le développement de la recherche pour soutenir une politique industrielle innovante supposent un budget européen renforcé. En rester à 1 % du PIB européen, comme le soutient la droite française, est un abandon de toute ambition en matière de préparation de l'avenir.

- Une loi européenne sur les services publics. L'article III-122 du traité la rendra désormais possible.

- Un traité social fixant des critères de convergence. La qualité des emplois et un haut niveau de protection sociale participent non seulement du renforcement du modèle social européen, mais aussi d'un soutien à la demande intérieure et d'une politique active de lutte contre le chômage.

- Une avant-garde. Les coopérations renforcées sont sensiblement assouplies par le traité constitutionnel (I-44, III-416 à 423). La zone euro en fournira la base.

C'est donc le oui qui crée la dynamique.

Les socialistes européens, les syndicalistes, les représentants de la société civile ont joué un rôle moteur dans l'écriture du texte. Tout ce qui n'a pas été obtenu constitue un programme pour la suite. Car le traité porte en lui-même les éléments de son dépassement. Les avancées qu'il faut saisir comme autant d'acquis irréversibles qui serviront de levier.

C'est ainsi que nous concevons le droit de pétition, la clause sociale transversale à toutes les politiques européennes, les droits fondamentaux invocables devant la Cour de justice, la conférence sociale annuelle instaurant un véritable dialogue social européen... Avec le oui, le mouvement d'émergence de l'Europe politique et sociale est enclenché.

Le chemin que nous proposons est clair. Convenons que la voie du non est plus obscure. Il y a d'abord la diversité des non ˇ - en France comme dans toute l'Europe. Comment interpréter une victoire du non ? Comme une aspiration à plus de fédéralisme ? De souverainisme ? De libéralisme ? De communisme ?

Et, d'un point de vue de gauche, où trouver des appuis nécessaires ? Dans quels grands partis européens ? Dans quels pays ? Mais admettons, même ces réserves une fois levées, quel serait le contenu de ladite renégociation ?

Olivier Besancenot a raison de ne pas se poser la question. Refusant le pouvoir ici, comment peut-il le prendre en Europe ? Marie-George Buffet, cohérente avec la position constante du PCF sur l'Europe, suggère que les"peuples" écrivent un nouveau texte.

Mais comment les réunir autrement que par les gouvernements qu'ils se sont librement donnés. Jean-Pierre Chevènement n'a jamais voulu ni Constitution ni Europe fédérale ; dès lors, le traité de Nice lui paraît excellent.

Aussi faut-il examiner les propos de ceux qui se prétendent les "européens du non" . Que nous disent-ils ? "On garderait les parties I et II pour enlever la partie III qui reprend les traités antérieurs." Etant entendu que la partie III demeurerait en vigueur et que les parties I et II s'avéreraient, tout compte fait, parfaitement acceptables, la fameuse renégociation accoucherait du même traité, mais en deux morceaux distincts et de même valeur juridique.

Le produit serait le même, il n'y aurait que la couverture qui changerait !

Où serait en effet la différence ? Ce serait le même texte en moins bien. Car se priver de la partie III reviendrait de facto à renoncer à pas moins de trente-cinq dispositions nouvelles qui améliorent sensiblement les traités actuels.

Trois d'entre elles figurent parmi les avancées arrachées par la gauche : la clause sociale générale (art. III-117), la base juridique pour la loi sur les services publics (art. III-122), la coordination des politiques économiques de la zone euro (III-194). Vous aviez une Constitution en couleurs ? Vous aurez la même en noir et blanc ! Brillante renégociation...

Le scénario de politique-fiction du plan B s'avère un peu plus ubuesque à chaque fois qu'il se dévoile. Qui assumerait la conduite des négociations ? "Les experts de Bruxelles travaillent sur toutes les hypothèses" , nous explique-t-on doctement. Nous serons donc sauvés par M. Barroso !

Faute de traité, on conviendrait d'un accord intergouvernemental à l'amiable sur des règles de fonctionnement de l'Union. Plus de Constitution donc, mais un saucissonnage d'autant plus hasardeux qu'il n'est pas acquis que donner un petit bout à tout le monde fasse un bon compromis. Quant aux modalités de ratification, exit le suffrage universel direct des peuples, la voie parlementaire ou le cénacle des chefs d'Etat feraient l'affaire !

Le plan B s'avère ainsi une mystification peu démocratique. Si la France dit non, une chose serait sûre : c'en serait fini du traité constitutionnel européen. Le non doit l'assumer, il aboutit à son propre résultat : ce serait non, un point c'est tout.

Laissons le catastrophisme : effectivement l'Europe en resterait aux traités actuels, c'est-à-dire au grand marché sans le modèle social.

Nous aurions dit non au plus social de tous les traités de l'histoire de la construction européenne. Et il n'existe aucune garantie que les avancées qui sont aujourd'hui sur la table pourraient se retrouver dans un texte futur.

Une opportunité historique aurait été manquée. Et le temps ne se rattrape jamais.

C'est dans la comparaison des deux chemins que les socialistes ont trouvé les raisons de leur vote. Le oui ouvre des portes. Le non les claque... sur les doigts des Européens.

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